Au collège des Frères

Ce mardi matin, dès 7h30, je grimpe les ruelles de la vieille ville, en suivant les écoliers en uniformes, et j’arrive devant le collège des Frères. Le gardien m’accueille comme si j’étais de la maison, et j’entre d’un pas décidé, pour lui donner raison. La cour s’anime de tous côtés: les enfants en uniformes, de 6 à 15 ans se retrouvent par petits groupes. La semaine précédente, j’ai rencontré Soeur Silouane, une « sœur sauvage », au caractère bien trempé, anciennement Fille de la charité, qui travaille pour le Patriarcat latin comme coordinatrice de français dans les établissements privés catholiques. Elle m’a expliqué tout le mal qu’elle pensait de Macron, qui est une merde parce qu’il n’a rien compris à la situation actuelle, et de la France qui s’islamise dangereusement…

Dans la petite salle des profs, chacun a sa place autour de deux grandes tables. Je rencontre Abeer, une palestinienne de Bethléem qui enseigne le français dans cette école depuis une dizaine d’années. Elle m’explique l’emploi du temps de la journée: depuis la guerre, les journées ont été raccourcies pour permettre aux élèves de rentrer plus tôt chez eux. Donc, cours d’une durée de 40 mn, de 8h à 13h30. Les élèves ont une salle de classe fixe. Ce sont les prof qui se déplacent. On nomme les classes à l’inverse de chez nous: la 1ère c’est la classe des 6 ans, la 2nde, 7 ans, et ainsi de suite. Ce matin-là, nous avons cours chez les 1ère, 2nde, 6ème, 7ème et 8ème. Abeer fait toutes les classes: elle a environ 30 heures de cours par semaine… avec des classes de 34 élèves ! Elle me dit être épuisée, mais n’a pas le droit de se plaindre.

Je l’accompagne dans les classes, me présente comme  » Madame Laure », puisque tout le monde s’appelle par son prénom, et je fais tout mon possible pour l’aider dans son travail. Le bruit et l’agitation des élèves me surprennent. Abeer est parfois excédée et se met à hurler sur un élève pour avoir enfin quelques secondes de silence. A l’intercours je lui demande s’il y a des sanctions, ou des exclusions pour les élèves insupportables. Non, on n’a pas le droit de renvoyer un élève. Tout ce que l’on peut faire, c’est de promettre d’en parler aux parents ou au directeur… des paroles en l’air qui n’ont aucun effet. Donc, sur le moment, la méthode, c’est de crier et de menacer…en vain.

A un élève ( en classe de 8e donc 13 ans ) qui me demande d’élever la voix parce qu’il n’a pas entendu, je lui réponds: «  Non, c’est à toi de te taire. Quand le professeur parle, tu dois l’écouter, je ne parlerai donc pas plus fort. » Abeer a raconté cette anecdote à tous ses collègues pendant la pause, je crois qu’elle ne s’attendait pas à ce que je réagisse comme ça.

Dans une autre classe, de 34 élèves, 3 élèves sont hyperactifs: George surtout ne tient pas en place, court, crie, parle tout seul. Je passe toute la séance avec lui, l’emmenant boire, puis dans la cour où il joue au ballon avec des élèves plus grands, enfin quand il se sent prêt, nous retournons en classe pour essayer de faire une fiche. C’est un petit intelligent mais complètement perturbé.

Dans la classe de 7e (12 ans), il y a un test. Moment de répit… je circule dans les rangs pour aider les élèves à comprendre les consignes. Ils se mettent au travail. Ils veulent que je vérifie si c’est juste. Je me sens utile et j’aime ça.

Dans la classe de 1ère ( 6 ans ), Abeer fait répéter les mots, tous ensemble… Ils ne savent pas encore lire et écrire. La prochaine fois, j’aimerais bien leur apprendre une chanson !

Pendant la pause, je corrige une pile de cahiers: c’est surtout pour les parents. Ils veulent être sûrs que le prof a vérifié le travail de leur enfant. La pression des parents est assez forte (comme c’était déjà le cas au Liban). Ils veulent des notes, donc des tests, et le « préfet » ( sorte de CPE, responsable de la vie scolaire de plusieurs classes) doit apposer sa signature sur les tests avant remise aux élèves.

Je trouve passionnant de travailler dans ce lieu, où (chose étrange) je me sens déjà comme chez moi. Abeer voudrait que je vienne tous les jours. J’arrive sans difficulté à convaincre Claire ( directrice de la guesthouse) d’y aller deux jours par semaine.

Sur les photos, on peut voir que les élèves ne sont pas tous très attentifs… A droite, Abeer, devant son tableau numérique. Toutes les classes sont hyper bien équipées grâce à Macron qui a réservé un budget spécial pour la promotion du français au Proche Orient. C’est d’ailleurs le seul point positif que lui reconnaît sœur Silouane !

3 commentaires

  1. Merci pour ce récit vivant. Je ne suis pas surprise qu’Abeer tedema’de de l’acommpagner davantage et du contact avec les élèves qui t ont adopté. Tu es faites pour cela! Bravo !les conditions d.enseignements sont pires qu en France…patience et douceur

  2. Merci beaucoup Laure de nous partager ces moments de vie au milieu d un contexte si tendu. Je t imagine si bien au milieu de ces élèves, je suis heureuse pour toi que tu te sentes utile et à ta place. Voilà un beau soutien apporté aux enfants et à cette enseignante…
    On vous embrasse bien fort tous les deux, avec Paul.
    Sophie

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